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Zingari | Les Tsiganes
opéra de Ruggero Leoncavallo (version de concert)
Sans même parler d’Alberto Franchetti et Lorenzo Perosi, les représentants de la Giovane Scuola (Nouvelle École) restent largement méconnus. Heureusement, après Umberto Giordano l’an passé [lire notre chronique du 19 juillet 2013], c’est au tour de Ruggero Leoncavallo (1857-1919), son ainé de dix ans, d’apparaître au programme du festival de Radio France en région Languedoc-Roussillon, en version de concert. Cette absence de cadre théâtral est un moindre mal, car si l’ancien étudiant du conservatoire de Naples et pianiste de café-concert à Paris – où il se lierait avec Massenet – est passé à la postérité pour I Pagliacci (Milan, 1892) [lire notre critique du DVD], quel mélomane amateur connaît encore Chatterton (Rome, 1896), Der Roland von Berlin (Berlin, 1904) et quelques autres, jusqu’au posthume Edipo Re (Chicago, 1920) ?
Vingt ans après le triomphe du vérisme, Leoncavallo se rend à l’Hippodrome de Londres (cirque du quartier de Westminster) pour y diriger une version abrégée d’I Pagliacci. De fil en aiguille, on lui commande un opéra aux dimensions du lieu. Ce serait Les Tsiganes, d’après le poème dramatique d’Alexandre Pouchkine, daté de 1824. Vladimir Nemirovich-Dantchenko l’avait déjà adapté pour Aleko (1893), l’épreuve de fin d’études du jeune Rachmaninov [lire notre chronique du 24 novembre 2006], et c’est au tour d’Enrico Cavacchioli et Guglielmo Emanuel d’en imaginer le livret pour un acte en deux tableaux, découvert par le public le 16 septembre 1912.
Dans un camp de Bohémiens au bord du Danube, une nuit de printemps, Fleana est surprise à embrasser un inconnu, à l’encontre des coutumes – « nos femmes ne sont pas pour les étrangers ». Pour vivre son amour au grand jour, la jeune femme annonce que Radu veut devenir des leurs. Il est accepté par le clan et les noces se préparent. Durant leur échange de promesses, le poète Tamar apparaît armé et sanglotant : il aime Fleana depuis toujours. Mais celle-ci le rejette avec ironie – « tu ignoreras toujours ce qu’est l’amour, toi qui ne sais ni vivre, ni tuer ». Pourtant, ces deux-là finissent par se rapprocher, poussant Radu à la folie meurtrière : il met le feu au refuge des amants surpris.
Petit quart d’heure offert avant l’entracte, une page de Massenet (1842-1912) permet de faire connaissance avec L'Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya : Scènes napolitaines, suite d’orchestre n°5 (1875). Sous la battue d’un Michele Mariotti qui alterne frénésie festive et respiration champêtre, la formation catalane (fondée en 1944) impressionne par ses qualités de fluidité et de profondeur de son. Une même puissance se retrouve dans l’ouvrage peu indigent de Leoncavallo, alternant avec quelques moments solistes (flûte, violon) et des arabesques orientales, mais parfois développée à l’encontre des chanteurs.
Il y a de Carmen chez Fleana qui, avec une fierté suicidaire, défie son futur bourreau – « mets-moi en pièces, brûle-moi, […] plus tu m’accables, plus je l’appelle ». Soprano chaud et onctueux, Leah Crocetto impose avec évidence sa phrase bien menée et son timbre juvénile – qu’on appréciera dans Verdi plus d’une fois, à la rentrée. Stefano Secco ayant annulé sa participation, Danilo Formaggia (Radu) le remplace avec une vaillance souvent à la limite de la tension, mais sans y basculer. Le ténor ne possède pas un timbre inoubliable mais fait l’effort de nuancer. Le baryton Fabio Capitanucci (Tamar) aborde son rôle avec une certaine raideur bientôt estompée, mais demeure assez frustre [lire notre chronique du 25 février 2009]. Enfin, Sergueï Artamonov (Vieillard) séduit par un chant large, sonore et rond, bientôt entendu à Paris.
LB